Ne rien faire…
Ces trois mots suscitent une certaine perplexité vue de l’extérieur ! En effet, entamer une action sur la nature peut être considéré comme de la gestion et de l’amélioration. Le gestionnaire peut donc parfois légitimement avoir la sensation d’être efficace, surtout lorsqu’il est financé par de l’argent public. L’expérience accumulée au cours de 15 ans de gestion de réserve montre une réalité souvent plus complexe et tend à rendre très humble le gestionnaire vis à vis du fonctionnement naturel.
Explicitons notre propos par un exemple concret !
La Réserve Naturelle Nationale de la Baie de l’Aiguillon a été créée de part son rôle pour l’accueil des oiseaux d’eau migrateurs et hivernants. De fait, les premières années de gestion ont conduit le binôme en charge de la gestion à tester des modalités d’aménagement et de gestion du pré salé visant à le rendre attractif pour des oiseaux d’eau. Pour faire simple, il s’agit de lutter contre une certaine fermeture du milieu générée par le Chiendent marin ou l’Aster maritime et de créer des milieux à Puccinellie maritime, graminée dont se nourrissent les oies. C’est pour cette raison que les activités agricoles ont été stimulée et que des actions d’ouverture à l’aide d’engins chenillés ont été réalisées. Ainsi, il a été créé un milieu particulièrement accueillant pour de nombreuses espèces de canards, canards herbivores notamment (Oie cendrée, Bernache cravant…).
Une réserve naturelle n’étant pas une réserve ornithologique, le gestionnaire a, au fil des années, développé les coopérations scientifiques induisant forcément une meilleure connaissance du milieu. Ainsi, des questionnements sont apparus sur cette gestion du pré salé et de son impact sur les zones de nourricerie de poissons. En effet, de nombreux alevins (de Bar ou d’Anchois) se nourrissent principalement d’un petit crustacé Orchestia gamarellus qui lui-même vit sous les Obiones. Or, les activités agricoles sont plutôt néfastes pour cette plante car elles cassent les tiges et empêchent son implantation. La Puccinellie progresse alors. Les oies sont favorisées par une gestion active au détriment des poissons favorisés par une gestion passive.
C’est pour cette raison que lors de la rédaction du plan de gestion 2013-2022, il a été établi comme objectif de favoriser les fonctions de la baie de l’Aiguillon, soit les assemblages naturels entre espèces. L’aspect interventionniste n’est donc plus assumé que sur 500 ha de prés salés environ (et non plus sur la quasi-totalité). Désormais, c’est au gestionnaire de mesurer les effets biologiques de ces choix et de les expliquer. Il est clair que la dimension ornithologique est devenue subitement plus secondaire. En revanche, le rôle d’un habitat, celui du pré salé, a été clairement mieux identifié comme zone de nourricerie pour les poissons, mais aussi comme exportateur de matière organique (contribuant ainsi à la présence de phytoplancton). Quels que soient les débats en cours sur les services écosystémiques, il est important de montrer que les choix de gestion et la protection de la baie de l’Aiguillon contribuent aussi, à une autre échelle, au maintien d’espèces intéressantes d’un point de vue économique (poissons, moules…).